Eloge du Defender

Voici un véhicule hors du temps, des modes et de la vie réglée sur formulaires. Mais prêt à tout.

A l'époque, il y avait des Chinois milliardaires, des femmes boxeuses et un président ébouriffant. Dans cette planète en surrégime, il y avait aussi le Defender. Telles étaient vos pensées en triple-débrayant pour repasser en seconde, à bord de l'exemplaire numéro 1 sorti en 1948 mais à peine différent de son successeur de 2007. Et d'autres du genre : les ¾ du 1,3 million de LR construit depuis 60 ans roulent encore. Et quand on dit « roulent » on veut dire qu'ils servent toujours de crampons pour grimper aux murs.

Puis vous embarquez à bord d'une des innombrables versions du dernier modèle, un long PU bâché. Le genre prêt à partir pour le bout du monde en passant par le pôle Sud. Et au panneau bout du monde, prendre à droite puis tout droit jusqu'au grand ailleurs. Parce que votre engin rustique, exigu et plutôt raide est un véhicule hors du temps, des modes et de la vie réglée sur formulaire. Mais prêt à tout.

L'ultime évolution de cette espèce taillée pour survivre à la collision avec une comète comporte des innovations aussi renversantes qu'un renflement sur le capot et un volet d'aération condamné. A part çà, les essuie-glaces poussifs balayent toujours le pare-brise plat pour bien rappeler que tout change en ce monde agité de la danse de Saint-Guy. Tout sauf le Defender. On y est assis aussi droit qu'à la Messe, ce qui est logique puisqu'on vient de rejoindre une religion discrète dont les adeptes se font des signes convenus quand ils se croisent sur la route. Mais la route n'est qu'une brève transition pour cet aller simple pour l'imprévu. .../... Alors vous comprenez ce qu'est vraiment le Defender : une bête de somme jamais vaincue, un tracteur d'horizon, un chien fidèle, un monument d'authenticité, un monstre d'audace, un géant de la modestie au service de toutes les bonnes causes du monde.

Dans 100 millions d'années, quand la planète aura à nouveau refroidi, on en trouvera pris dans les glaces d'Ecosse ou de Picardie.

Olivier PERETIE (Le Nouvel Observateur) Août 2007